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Mediator : les victimes ont plus de temps pour demander leur indemnisation

Mettre sur le marché un médicament qui se révèle défectueux et, dans un deuxième temps, l’y maintenir, tout en sachant qu’il provoque des lésions mortelles, revient-il au même ? Cette question est au cœur du procès qui oppose Mme X, victime du Mediator, aux laboratoires Servier, qui ont, à partir de 1976, commercialisé cet antidiabétique, à l’origine de nombreuses morts.
Mme X, qui a subi des lésions cardiaques, s’est constituée partie civile dans le cadre du procès pénal de 2019, au terme duquel les laboratoires Servier ont été condamnés à verser 180 millions d’euros à quelque 6 500 victimes, dont elle-même (30 000 euros), pour « tromperie sur la dangerosité du produit ayant généré un préjudice d’anxiété ».
Mais elle attend toujours l’indemnisation de son préjudice corporel, au titre de laquelle les laboratoires Servier lui ont proposé 9 700 euros, alors qu’elle pourrait en toucher 175 000, au terme du second procès pénal, pour infraction de blessures et d’homicides involontaires, qui se tiendra un jour, mais à une date encore inconnue.
Pour gagner du temps, elle a, en juillet 2020, assigné les laboratoires Servier au civil, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ; celui-ci s’impose quand des personnes subissent les effets de médicaments qui « n’offrent pas la sécurité à laquelle on pourrait légitimement s’attendre ».
Ce fondement prévoit un délai de prescription court, de trois ans – lequel, en l’occurrence, était dépassé – , à partir du moment où les personnes connaissent l’origine de leur dommage, sauf si elles prouvent que ce dommage est imputable à une « faute », distincte de la simple défectuosité ; auquel cas elles peuvent « opter » pour le régime de droit commun et sa prescription longue.
C’est le 25 juillet 1985 que le Conseil des Communautés européennes a adopté la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux. Ce texte de compromis dit que le producteur est responsable de plein droit des dommages causés par un défaut de son produit, qu’il soit lié ou non par un contrat à la victime (article 1245 du code civil). Celle-ci ne doit prouver que le dommage, le défaut et le lien de causalité qui les unit (article 1245-8), et non une faute.
Il est toutefois soumis à un délai de prescription très bref, de trois ans, qui court à compter de la date à laquelle la victime a eu connaissance de l’origine de son dommage (1245-16). Il est souvent plus court que celui de droit commun (en France, de dix ans à partir de la « consolidation », article 2226). De ce fait, certains Etats membres ont obtenu un droit d’option (article 13), dont la Cour de justice des Communautés européennes a dit (C-183/00) qu’il devait s’exercer sur un fondement différent (article 1245-17).
L’avocate de Mme X, Me Anne-Laure Tiphaine (cabinet Coubris), a donc soutenu que les lésions cardiaques subies par sa cliente, pour avoir pris du Mediator entre 2006 et 2008, résultaient d’une « carence dolosive » des laboratoires Servier qui, informés, dès les années 1990, de la dangerosité du produit, se sont abstenus de le retirer du marché (alors qu’ils l’ont retiré de Suise en 1999, d’Espagne et d’Italie en 2003). Sans cette « inaction », sa cliente irait bien.
Les magistrats du fond, et notamment la cour d’appel de Versailles, le 7 juillet 2022, ont jugé que la distinction qu’elle faisait était « artificielle », et seulement destinée à « contourner » les règles de la prescription. Mais, le 15 novembre 2023 (pourvoi 22-21.174), la Cour de cassation leur a donné tort : le maintien en circulation du produit dont le producteur connaît le défaut constitue « une faute ».
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